La joie dans le passage du Nord

10/02/2023

Il y a la joie de la naissance, de l'éveil, toutes les joies des commencements. Et puis il y a la joie après le deuil, la joie même dans l'épreuve, en traversant l'épreuve. J'en suis là, ce matin.

Le deuil est difficile. Multiple, comme tous les deuils: celui lié à la mort de ma mère, celui de l'image que j'avais d'elle et qui s'est révélée inexacte, celui d'un amour à jamais impossible... et puis le deuil d'une autre relation qui a violemment explosé dans le sillage de cette mort.

Et malgré tout, je me sens nourrie d'une joie profonde. Fragile oui, car elle est souvent ébranlée, mais puissante dans ses racines. Nous portons tous en nous un potentiel de joie et de plaisir à diffuser. Certains événements difficiles, certaines émotions bouleversantes, peuvent freiner la réalisation de ce potentiel. Beaucoup d'interdits religieux, familiaux et sociétaux nous empêchent de le laisser s'épanouir. Pourtant la joie est dans notre nature profonde. Comme le pissenlit têtu qu'on prend pour de la mauvaise herbe et qu'on arrache, et qui cependant réussit à faire éclater son jaune flamboyant dans le timide soleil de l'hiver. Telle une jardinière patiente, je tente de cultiver la joie quoiqu'il arrive, même et surtout quand la vie est difficile et quand je suis sensible à la souffrance des autres êtres vivants. La douleur nous recroqueville sur nous-même, nous fait perdre notre axe et notre direction... Nous avons besoin de traverser la douleur quand elle vient et d'accepter les émotions difficiles qu'elle charrie. La joie, même sombre, même âpre, m'aide à transformer les autres émotions, à traverser les territoires glacés du Nord.

La joie nous incite à créer des liens, elle nous connecte à plus vaste que nous et nous ouvre à la puissance du désir de vivre.

Je me dis que c'est une responsabilité, un engagement de chaque jour. Pour moi, pour rester debout et continuer à partager ce que je veux partager, et pour les autres, et pour le monde.  Car si chacun  cultive sa parcelle de joie, il pourra l'offrir aux autres. Et s'il renonce à le faire, qu'adviendra-t-il de notre monde ? noyé dans la tristesse des deuils, la morosité du quotidien et la mauvaise humeur qui nous envahit quand on a perdu le sens et le goût. Alors je vais dans mon jardin, chaque jour, pour me connecter à la beauté de la vie : les bourgeons sur les branches, sensibles aux gelées du matin mais déterminés à éclore, et les mésanges qui dans un ballet incessant viennent picorer les noix offertes dans la cabane.